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BDF 2.4 Pietro Barbetta – La depressione affetto centrale della modernità

2 aprile: Pietro Barbetta commenta la dissertazione dottorale di Cinzia Crosali “La depressione affetto centrale della modernità”, discussa l’8 dicembre 2008 presso il Dottorato di Ricerca in Psicoanalisi dell’Università di S. Denis (Parigi)

Parte prima

Tre poesie di Umberto Saba


umberto saba – poesie from enrico valtellina on Vimeo.

Parte seconda

Depressione – 1


2.4 1 depressione from enrico valtellina on Vimeo.

In guisa d’introduzione al mio seminario, allego il testo della mia relazione alla tesi di Cinzia Crosali, il testo è in francese perché non trovo più l’originale italiano, la traduzione è della stessa Cinzia Crosali e la trovate esposta così perché non so allegare un testo, perciò ho fatto copia e incolla:

Compte-rendu de Pietro Barbetta   pour la thèse de doctorat de Cinzia CROSALI CORVI, intitulée « Dépression : affect central de la modernité.»

En guise d’introduction à mon compte-rendu du travail de Cinzia Crosali, je souhaiterais avant tout souligner combien j’ai appris de son expérience clinique et de sa compétence.
Je ne suis pas un spécialiste de Lacan et, face à mes incompréhensions et à mes difficultés dans l’étude de son oeuvre, j’ai trouvé une grande partie des éclaircissements qui m’étaient nécessaires dans des discussions partagées ces dernières années avec quelques-uns des meilleurs psychanalystes. Parmi ceux-ci, Cinzia Crosali a joué un role fondamental.

Sa thèse est le fruit d’une triple entreprise dont j’ai été en partie témoin :
–    Son approfondissement de la connaissance de l’oeuvre lacanienne
–    son étude rigoureuse et approfondie de l’histoire des systèmes de pensée concernant la dépression dans la culture occidentale
–    son expérience clinique auprès d’analysants avec des diagnostics de dépression (jamais moins qu’en cette occasion il ne serait bien dire d’analysants « dépressifs »).

Ces trois aspects sont les éléments proprement constitutifs du travail de Cinzia Crosali. Je veux dire par là qu’il ne s’agit pas de trois questions simplement juxtaposées, mais bien de trois aspects intégrés, tant dans le fil conducteur de l’histoire de la nosologie, de ses diverses configurations (depuis l’entrelacement et la distinction entre les notions de mélancolie, d’acédie et de tristesse jusqu’au discours psychiatrique moderne), que dans le fil conducteur d’une lecture lacanienne du phénomène de la dépression (en particulier par la reprise de quelques-uns des schémas qui se trouvent en marge du texte « Télévision »).
La thèse fondamentale de Crosali est énoncée dans le titre de son travail. Ce titre exprime deux positions clés qui traversent l’ensemble de sa recherche :
Primo, la dépresion est un affect.
Secondo, il s’agit d’un affect central pour la modernité.
Premier aspect : la dépression est un affect, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une structure psychique, au sens psychanalytique.
D’où la référence, avant meme celle faite à la psychanalyse, à la philosophie de Spinoza, à la distinction entre affectio et affectus, et au classement de la tristesse spinozienne parmi les principaux affects. Je cite ici l’un des passages de la thèse de Crosali sur lequel j’aimerais m’appuyer :
« Si l’affectus est la variation de la puissance d’agir, l’affection est avant tout l’état d’un corps en tant qu’il subit l’action d’un autre corps. Et une action d’un corps sur un autre corps implique toujours, pour Spinoza, un contact, un mélange. Par exemple « sentir le soleil sur soi » implique une affection du corps par le soleil, par l’action du soleil sur le corps. En effet, pour Spinoza, l’affection enveloppe un affect. L’affect, en tant que variation de la puissance d’agir, est assimilable à un mouvement, à un passage d’un état à un autre. L’affection enveloppe donc un passage, une transition (l’affect). Cette transition est augmentation ou diminution de la puissance d’un sujet ».

En l’occurence la tristitia représente cette diminution de puissance d’un sujet, cette transition vers une diminution de puissance, qui conduit le sujet à l’assujetissement, à la soumission. Spinoza – défini par Deleuze comme étant “le philosophe pour les non-philosophes” – est le penseur qui, par sa recherche de la relation entre affectio et affectus, a fait de la relation entre corps et esprit le centre de sa théorie. Et ceci aux débuts d’une époque (la modernité) traversée par la philosophie de Descartes et Kant, « philosophes pour philosophes ». Pour une longue période, la modernité fera du savoir un champ dans lequel la séparation entre res cogitans et res extensa devra demeurer fondatrice. Le savoir devient un mécaisme de controle, de domination de la res cogitans sur la res extensa. D’où le développement du discours medico-psychiatrique contemporain, qui, en présentant la dépression comme un phénomène exclusivement chimico-biologique, la décrit en termes de maladie.

Second aspect : l’affect dépressif est central pour la modernité.
Là aussi Spinoza représente un point d’articulation  essentiel, parce que dans cette diminution de puissance, dans cette variation continue du plateau d’intensité en direction de la diminution, qui caractérise la tristitia spinozienne, réside une soumission sociale, politique. Les tyrans, affirme Spinoza, ont besoin de sujets tristes, opprimés. Autrement dit, selon Spinoza, la rébellion contre l’oppression, la révolte produisent ce phénomène de (facchinaggio) coltinage auquel semble se référer Lacan lorsqu’il parle, par exemple, de l’antipsychiatrie. La stupeur de Spinoza face aux révolutions politiques est bien connue. En fait il considérait que les etres humains luttent pour vivre moins bien, pour produire des formes d’oppression encore plus lourdes.
La dépression, telle qu’elle se présente au niveau de la phénoménologie de la rencontre avec l’Autre, est un phénomène typiquement moderne. Elle dévoile – c’est-à-dire qu’elle montre et cache à la fois – une oppression, une soumission absolument individuelle, désocialisée, privée de lien social : une tendance paradoxale à se soustraire à l’assujetissement par le refus de la relation avec l’Autre, une oppression de second ordre. D’où la rencontre clinique avec la personne déprimée se présentant, avant tout et le plus souvent, comme la rencontre avec un discours : «  je suis déprimé, j’ai une dépression, c’est une maladie, je prends des antidépresseurs, etc ».
Le discours capitaliste requiert de guérir les dépressifs, en meme temps qu’il requiert des dépressifs. Les dépressifs manifestent une intolérance à la reproduction sociale, mais cette intolérance n’est pas socialisée. Il s’agit d’une intolérance absolument individualisée, « soignable », chimiquement « guérissable ».  Sous de nombreux aspects, elle semble avoir remplacé – à un niveau individuel – les oppressés du dix-neuvième siècle. Les dépressifs d’aujourd’hui ne sont pas aussi pauvres, et n’ont donc pas besoin de s’allier entre eux pour se rebeller, leur mal est « obscur », il n’est pas aussi visible que l’exploitation économique. Le « déprimé » est l’expression d’une nouvelle frontière de la subjectivité, où une espèce de responsabilité biochimique se substitue à la responsabilité individuelle et collective des sujets. Ce n’est pas moi, ce sont les interactions entre sérotonine et norépinéphrine. Je guérirai quand je recommencerai à supporter la reproduction sociale, dans les cas les plus graves une thérapie électroconvulsive (administrée dans une ambiance technologiquement avancée et sous anesthésie totale) pourra etre envisagée.
Le dépressif est d’autre part un grand consommateur de l’industrie pharmaceutique qui, au cours des dernières années, a réalisé une bonne partie de ses bénéfices grace à la consommation d’ISRS  ; il contribue à l’augmentation de la demande interne et a sans doute contribué, à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingt, au succès économique de certaines industries pharmaceutiques. Autour de la consommation d’antidépresseurs s’est développée la recherche, la publicisation médiatique (qui n’a présent à l’esprit la définition du prozac comme étant le « médicament du bonheur » ?), publicité qui, officiellement interdite aux industries pharmaceutiques, a été abondamment fournie par des services publicitaires publics (surtout aux Etats-Unis)  sous forme de propagande pour la prévention du suicide.
Le discours moderne conduit à l’idée, tout à fait anti-spinoziste, que le bonheur, en dehors d’etre l’affect qui dépend d’une affection augmentant la puissance de variation continue d’une personne, est aussi la conséquence d’une plus grande activité sérotoninergique, chimiquement induite.
A la rencontre avec l’Autre se substitue le fonctionnement du corps, sa « docilisation » chimique.
Face à de telles questions, la confrontation avec l’approche cognitiviste prend une place centrale dans les recherches de Cinzia Crosali, en particulier son étude de l’interprétation de Spinoza développée par le célèbre neurologue nord-américain Antonio Damasio.
Damasio reprend le développement mené par Spinoza à propos du péché originel. Spinoza soutient l’idée selon laquelle le récit raconté dans la Genèse pourrait etre compris comme un conseil adressé par Dieu à Adam et Eve : n’absorbez pas de fruit chimiquement toxique. Spinoza fait du mal une sorte d’intoxication, tout à fait libérée du discours sur la faute. Il le fait de façon provocatrice, pour répondre aux objections d’un catholique. Et pourtant, en sortant les assertions spinoziennes de leur contexte, en les séparant des circonstances historiques dans lesquelles elles ont été écrites (la dispute épistolaire menée avec le catholique Blyenbergh sur la question théologique du péché originel), Damasio prend cet exemple comme preuve du matérialisme « bio-chimique » de Spinoza. En se prévalant de Spinoza, il soutient une sorte de primat ontologique de la res extensa, en reproposant sa séparation de la res cogitans.
Je me souviens des conversations que nous avons eues avec Cinzia autour du cognitivisme et de Damasio ; de ses réflexions à propos des différences de termes employés par Spinoza et par Damasio ; du désir qui était le sien d’aller au fond d’une critique de l’approche de Damasio, en un sens de sauver Spinoza du cognitivisme, et ceci non sans raison. Spinoza n’est pas seulement le philosophe préféré de Lacan, il est aussi l’auteur qui a représenté  – tant par sa vie que par sa philosophie – l’un des moments essentiels de différenciation face aux assimilations académiques.
Damasio recourt au terme « émotions », il parle d’émotions, décrit et théorise l’existence de deux types différents d’émotions qu’il appelle primaires (issues des parties les plus primitivesdu système nerveux) et secondaires. Ces dernières, caractéristiques de l’etre humain, sont – selon Damasio – élaborées par la pensée de façon cognitive, au moyen du cortex. Ainsi Damasio défend-il cette approche philosophique matérialiste (que Marx avait déjà définie comme « matérialisme vulgaire ») qui, à partir du succès scientifique obtenu par les neurosciences au cours des vingt dernières années, repropose une réduction de l’esprit au cerveau.
Les élaborations de Spinoza sont d’un genre bien différent. En premier lieu, son langage lui-meme est différent. Il introduit deux termes fondamentaux, associés l’un à l’autre : affection et affect (comme le note Deleuze la meilleure traduction d’affectio est affectus). Indiquant la relation immédiate du Sujet à l’Autre, toute affection implique une confusion, un élément d’imperfection, une espèce de mélange, de superposition, une interconnexion entre l’esprit et le corps. Le corps affecté n’est déjà plus seulement res extensa, il est une anomalie. C’est là l’une des conditions constitutives de l’existence humaine.
Parmi les affects, il s’en trouve un de vraiment particulier, que Spinoza appelle appetitus et qui déplace le Sujet vers l’Autre. Le sujet affecté vit donc une sorte de passivité active, il est affecté par l’Autre mais va à sa rencontre. Du point de vue éthique, le sujet est libre.
Si j’ai bien suivi le raisonnement de Cinzia Crosali, c’est pour cela que la dépression n’est pas considérée par la psychanalyse comme une structure psychique en soi.

« Nous soutenons au contraire, écrit-elle, que l’affect dépressif n’est pas en lui-même une structure psychique particulière, mais qu’il traverse toutes les structures et est à considérer et à traiter avec une attention diagnostique différentielle ».

La dépression, en tant qu’affect, traverse toutes les structures. Elle n’est donc pas traitée comme une catégorie diagnostique, mais bien comme une dimension, pathogène (dans le sens ou pathogène est issu du terme pathos, et non dans le sens où la médecine utilise ce terme), présente dans les différentes structures. Cette thèse, qui s’accorde avec la théorie lacanienne, peut avoir, selon moi, valeur heuristique au sein des différents modèles cliniques et diagnostiques. Historiquement, les tableaux de la mélancolie et de l’acédie, exposés dans cette thèse avec beaucoup de compétence, présentent des catégories quelque peu différentes : la mélancolie, maladie de l’homme de génie, l’acédie, maladie du moine vicieux. Et nous pourrions ajouter d’autres cadres historiques dans lesquels la dépression se présente sous une autre forme encore : la nostalgie, maladie du soldat suisse éloigné de sa patrie, la saudade, maladie du migrant brésilien, il malocchio, malédiction subie par la jeunesse paysanne de l’Italie du Sud.
Donc la dépression en tant qu’affect, distincte de l’émotion – expression de passivité ; distincte des structures psychiques (ce n’est pas une structure) – qu’elle traverse, habite, où elle s’insinue.
Mais, en raison meme de ce qui a été soutenu plus haut, la dépression est un affect mensonger.
Nous avons ici un troisième aspect de la question, un corollaire important qui vient corroborer ce que soutient Cinzia Crosali : la dépression se distingue de l’angoisse. Pour parvenir à cette observation, je crois qu’outre les réflexions de Lacan, les recherches sociologiques d’Ehremberg et la philosophie du premier Heidegger ont été essentielles.
Le Heidegger de Sein und Zeit s’attaque à l’analyse phénoménologique de l’angoisse comme condition affective (Befindlichkeit) authentique ; il s’agit de ce que le philosophe de Freiburg définit sous le terme d’etre-pour-la-mort. La réflexion d’Heidegger part de l’idée que l’angoisse est un affect sans objet.
Dans l’oeuvre de Heidegger semble prendre forme le thème de l’immanence de l’affect. Selon cette formulation, l’affect ne se présente pas comme affect pour un objet transcendant. L’objet m’affecte, mais en vertu d’un appetitus qui ne se trouve pas devant moi, mais dans mon dos.
Je voudrais demander ici à Cinzia Crosali un éclaircissement, qui me parait important, entre la position d’un philosophe qui m’est cher, Gilles Deleuze, et celle de Lacan. Je ne me réfère pas au Deleuze qui a un peu simplifié ses positions à l’occasion de sa collaboration avec Guattari, mais bien au Deleuze lecteur de Spinoza et de Leibniz, à l’auteur de Différence et répétition.
Deleuze parle du désir comme d’une vibration se manifestant sur un plan continu d’intensité, ne nécessitant ni apogée, ni décharge énergétique ou orgasmique, et non plus un objet qui le transcende. Un désir, en somme, qui ne nécessite pas d’un manque, mais plutôt qui s’exprime se déployant, comme dans un point de fuite différentiel. Selon vous, Cinzia Crosali, dans quelle mesure ces considérations sont-elles assimilables aux considérations de Lacan à propos de l’objet a, et dans quelle mesure s’en différencient-elles ? Ce point de fuite différentiel, que Deleuze avait extrait à la fois de Gregory Bateson et de l’analyse mathématique en partant de Leibniz, est-il, ou non, un élément de convergence avec la pensée de Lacan à propos de l’objet a ?
Au-delà de la théorie clinico-philosophique, la littérature, bien plus sophistiquée parce que libre de la nécessité de définir des catégories, s’est exprimée sur ce thème à de multiples reprises. Je souhaiterais évoquer ici un seul exemple : l’intuition de l’assez pervers  romancier américain Truman Capote. Dans son roman Déjeuner chez Tiffany’s – qui, au-delà de l’histoire, a peu à voir avec le film d’Edwards – a lieu un intéressant échange entre les deux personnages. Holly Golightly parle de la mystérieuse sensation qu’elle éprouve de temps en temps, une sensation qui lui passe à condition de se faire accompagner d’hommes toujours différents. Elle appelle cette sensation «  mean reds ». En italien « mean reds » a été traduit par « paturnie ». L’homme lui dit :  « you mean the blues »  (« tu veux dire le blues »), mais elle répond non, elle dit qu’il s’agit de quelque chose de différent. Tandis que le blues a un motif, tandis qu’il est du à quelque chose, « I mean reds » n’est du à rien. L’homme semble alors comprendre ce que veut dire la femme, et utilise un terme allemand pour définir l’affect : Angst.
Capote a accordé au personnage féminin de son roman cet esprit de finesse qui lui permet de distinguer l’état d’« authenticité ». Les psychiatres américains contemporains n’hésiteraient pas à diagnostiquer cette héroine come « borderline », d’autant plus que, dans le roman, elle franchit les « frontières » américaines pour aller vivre, et peut-etre mourir, en Afrique.

A ce sujet, la thèse de Crosali est claire et définitive, elle ressemble à celle exprimée dans le roman de Capote :

« Nous avons établi une distinction entre l’angoisse, affect « authentique », qui ne ment pas, et les autres affects (dont l’affect dépressif) qui peuvent au contraire être mensongers, dans le sens qu’ils peuvent « mentir » sur la question du désir, qu’ils écartent le sujet d’un savoir possible sur son désir ».

Mentir sur la question du désir. Nous nous trouvons ici en plein dans la théorie lacanienne, dans la partie de sa théorie qu’un psychanalyste systémiste tirant comme moi son inspiration de Gregory Bateson partage le plus : le thème de la responsabilité.
Jamais plus que lorsque je rencontre, au cours de mon activité clinique, désormais longue et consistante, un patient « déprimé », je ne me trouve face à un langage aussi pauvre, simple, quasi élémentaire : « j’ai une dépression, c’est une maladie ; je prends des antidépresseurs, ce qui me fait aller mieux. Mais… »
Ce « mais » est, d’habitude, un moyen d’accès à la possibilité de parler du désir, d’accéder au « bien dire ». Dans ce « mais » se trouvent les effets collatéraux des médicaments (la baisse du désir sexuel, la prise de poids), les effets placebo non désirés (mon compagnon m’a quittée parce qu’il ne craint plus mon intégrité physique), les effets directs non désirés (comme, dans les cas graves, l’augmentation des suicides dans les premiers mois d’administration). Désir sexuel, désir de l’autre, désir de mort.
Il s’agit souvent de rencontres difficiles ; l’hégémonie du discours medico psychiatrique nécessite un long travail de déplacement, une longue déconstruction des approches médicales (« selon vous, comment dois-je me comporter pour guérir ? »), qui implique une espèce de transformation du discours du « patient » (ce que Crosali, suivant Lacan, appelle le « discours du Maitre ») observant un phénomène pathologique appelé dépression – comme un Golem installé dans le plafond de la maison – dans un ensemble d’expériences qui traversent l’existence et la vie quotidienne de « l’analysant ».
Dans un essai sur la nostalgie écrit pour Diogène en 1966, Jean Starobinski rappelle que dans l’Anthropologie de Kant :
« Le nostalgique ne désire pas tant le lieu de sa jeunesse que sa jeunesse elle-meme… Son désir n’est pas tendu vers quelque chose qui pourrait etre retrouvé, mais vers un temps désormais à jamais inaccessible ». Kant traite ici avec une large anticipation d’un problème reproposé par la littérature post-coloniale, par exemple dans le domaine de la fiction par Chinua Achebe dans son roman No longer at ease, ou dans celui de la philosophie par Homi Bhabha et le terme in-between : le retour au lieu de la nostalgie, bien loin de soigner, se transforme en la déception de trouver des personnes, des choses, des habitudes qui ne sont plus les memes, ou plutot qui prennent, pour celui qui revient, un caractère d’étrangeté aliénante.
Kant, qui n’a jamais quitté Könisberg, se rend compte que la question de la nostalgie ne se pose pas en relation avec un objet transcendant, mais prend le caractère de l’immanence. Comme l’avance Freud, la régression est, avant tout, un voyage à l’intérieur de sa propre biographie, plutot qu’un voyage dans l’espace. La famille est le lieu de conservation de cet élément particulier et intime vers lequel le patient régresse.
Les considérations de Spitz, auteur auquel se réfère Cinzia Crosali dans son tavail, la longue expérience clinique de cet auteur auprès d’enfants précocement hospitalisés et éloignés de force de leur famille,  nous interroge encore aujourd’hui sur le role de la famille dans la construction de ce sens de l’intimité capable de prévenir la dépression anaclytique. Avant meme d’envisager quelque possibilité de mauvais traitement familial que ce soit, la famille est un système complexe, un horizon de construction du sens, un lieu où se produit quelque chose qui se tient au-delà du rationnel et de l’éducatif, quelque chose qui, en dehors de la famille, dans les institutions extrafamiliales, ne peut etre donné.
Ceci pourrait-être une dernière observation au regard de l’excellent travail de Cinzia Crosali. L’oeuvre de Spitz y est étudiée avec appréciation, Spitz affirme que les enfants hospitalisés et éloignés de force de leur famille développent une forme d’abandon du monde. Primo Levi a décrit de la meme façon ceux qu’il a appelé « les musulmans » , pour décrire la réaction de fermeture autistique manifestée chez de nombreux internés d’Auschwitz.
Si la dépression est un affect qui traverse les structures psychiques, on trouve des formes de retrait de la relation d’une radicalité absolue. Au point de rendre les personnes absolument impuissantes. Spitz décrit la situation de l’enfant mis en institution, Levi (qui toutefois ne se livre pas à une description clinique, mais littéraire) décrit les adultes des camps d’extermination ; d’autres hypothèses pourraient concerner les catatonies et les ebéphrénies de l’univers concentrationaire de l’asile psychiatrique, ou encore l’impossibilité de raconter ou de se souvenir des survivants de guerre ou des rescapés de prison.
Selon cette optique, la dépression apparait plus comme la conséquece explicite d’un phénomène d’oppression sociale que comme un phénomène psychique.